
Il y a 10 ans, j’ai été marquée par le suicide d’une adolescente. Il y a d’elle dans le personnage de Tigrane. A l’époque, on a parlé de la folie qui marquait sa famille, et c’est cette folie qui a inspiré le père. On a aussi parlé de la pression que faisait subir un lycée trop élitiste pour une jeune fille fragile. Plus tard, j’ai travaillé avec des jeunes en CAP et des adolescents en rupture. J’ai admiré leur talent, leur énergie, leur soif de créer. J’ai mesuré le poids des origines, et du lieu où l’on vit dans sa construction identitaire. Alors que l’art est un formidable moyen de se réaliser, les portes de nos écoles artistiques sont de plus en plus difficiles à pousser. Je commence à écrire « Tigrane » en 2014. En Mai 2015, paraît un rapport alarmant sur la pauvreté et l’école. La France est la championne de l’OCDE des inégalités scolaires. Quand il présente son rapport, Jean-Paul Delahaye conclut : » nous sommes sur une bombe sociale. » Nous sommes à quelques mois de la tragédie du Bataclan. « Tigrane » est né d’une colère. D’une envie que les lignes bougent.
Jalie Barcilon
Juin 2015, Tigrane, 17 ans, a disparu. Isabelle, professeure de lettres, est convoquée au commissariat. A travers son témoignage, on reconstitue le portrait fragmenté d’un adolescent en rupture. Isabelle est arrivée au lycée pleine de grandes idées. Elle y a rencontré Tigrane, un garçon en CAP qui ne veut rien faire et la provoque. Isabelle s’acharne, et derrière le provocateur, elle découvre un garçon qui n’a pas les mots, un garçon fragile qu’un père manipulateur rend fou. Avec elle, Tigrane découvre la poésie et la peinture. Isabelle voit en lui un artiste. Tigrane est heureux. Mais voici qu’il tombe amoureux. Mais voici qu’il est arrête le C.A.P pour elle, pour dessiner…
# PROJET METAMORPHOSE
Sur scène, une rampe de skate, des bombes de grafs, de la peinture. Un rétro-projecteur. Une atmosphère en tension, à la Gus Van Sant.
Ce projet vise les adolescents et tient à les rendre actifs. En amont du projet, nous mobilisons un groupe d’adolescents pour réaliser le « projet Métamorphose », installation visuelle et graphique intégrée au spectacle. Il s’agit de faire entendre leur voix, et de montrer à voir leurs oeuvres.
# EXTRAIT
ISABELLE Tu as dessiné à côté du poème.
TIGRANE Vite fait.
ISABELLE C’est beau. Tu as préféré quoi, écrire ou dessiner ?
TIGRANE J’ai rien préféré du tout.
ISABELLE Tigrane, est-ce qu’il y a des choses que tu aimes faire dans la vie ?
TIGRANE C’est un interrogatoire ou quoi ? Parce que là, c’est pas pour vous faire de la peine, mais on se croirait un peu chez les keufs madame. J’aimerais bien y aller là…
ISABELLE Tu as déjà été chez les keufs toi ?
TIGRANE J’avoue… pour un truc débile
ISABELLE Je suis sûre qu’il ne t’ont pas demandé ce que tu aimais dans la vie. Ils sont pas là pour ça, alors que moi…
TIGRANE Je croyais qu’on était là pour la grammaire.
ISABELLE Pas seulement. Ce serait vraiment bien que tu apportes des dessins pour le projet Métamorphoses. Monsieur Chardrel attend vos propositions demain.
TIGRANE Je verrais. Alors, vous me mettez combien ?
ISABELLE Tu apporteras tes dessins, Tigrane ?
TIGRANE Vous lâchez jamais, vous.
ISABELLE 18. Je te mets 18.
TIGRANE Papa ! Papa ! J’ai eu 18 en poésie.
LE PERE Ah ouais ? Et alors ?
TIGRANE Mes copains quand ils ont 18, on leur fait un cadeau.
LE PERE Eh bien, moi, je te ferais un cadeau, quand tu auras zéro.